- Hyperquoi ? blêmis-je, jetant un bref coup d'oeil à Louis qui se dandinait sur sa chaise.
- Hyperkinésique madame, ou hyperactif si vous voulez, répondit la psychologue dans un soupire. C'est un trouble cérébral mineur qui agit sur son comportement. C'est pour cela qu'il est agité et qu'il fait preuve de maladresse et d'impulsivité. Ce n'est pas grave en soit, ça passe souvent avec l'âge, mais ses années scolaires seront plus difficiles, car ce trouble cause souvent une dyslexie et elle semble très marquée chez votre fils.
- Mais… On ne peut pas le soigner ?
La psychologue remonta ses lunettes et secoua la tête. Je ne pus retenir un gémissement et c'est dépitée que je sortis mon carnet de chèque. Cent cinquante dollars pour vingt minutes d'osculation et une mauvaise nouvelle à la clef. Quel beau métier que celui de psychologue. Je détachais d'un coup net le petit bout de papier et lui tendit d'une main mal assurée. Elle s'en saisit avec la vivacité du serpent et m'adressa un sourire qu'elle voulait compatissant. Vieille truie.
Je me levais, Louis fit de même plus excité encore que d'habitude. Il avait cinq ans, j'en avais bientôt trente, il débordait d'énergie et j'étais déjà épuisée. Je maugréai un « Au revoir » amer et ouvrit la porte. Ma petite tête blonde fila comme l'éclair dans le couloir où je le rejoignis. Il me regardait avec ses grands yeux verts et sa jolie frimousse, il était rayonnant d'innocence et je crus pleurer. Ce n'était pourtant pas si grave, mais je savais qu'il allait devoir se battre toute sa vie, il allait devoir être plus fort que tous les autres et plus fort que moi.
« Maman ! T'as entendu ? J'ai un super pouvoir ! L'hyperquinaision ! Tu me feras un costume, dis ? Un rouge, comme Flash ! »
Il me tendit la main, je la lui pris doucement et acquiesçai avec le sourire. Il n'avait pas compris, il pensait être comme ces super héros dont il lisait les aventures avec son père Ces grands gaillards à la musculature exceptionnelle qui sauvent le monde en collant. Tant mieux. De toute façon je n'avais pas le courage de lui expliquer. Il réfléchissait à un nom d'emprunt pour sauver le monde quand nous arrivâmes à la voiture. Je l'installai, lui recommandant de ne pas s'agiter jusqu'à ce que l'on soit à la maison, et nous prîmes la route. Nous habitions un petit quartier un peu à l'extérieur d'Alice Springs. L'endroit était convivial, bien qu'entouré du désert, mais nous nous y plaisions.
« Bunny Bump ! » s'exclama soudainement Louis qui s'était redressé.
Je manquais de sortir de la route, mais me repris à temps et lui ordonnai de se rasseoir. Il grommela, s'insurgea, mais le coup de volant l'avait effrayé et il finit par obtempérer. Bunny Bump… Décidément. Je ne voyais vraiment pas ce qu'il trouvait à cet animal. Ce petit mammifère avait envahi nos prairies et à part se multiplier il ne savait pas faire grand chose. Louis s'était pourtant pris d'une passion pour eux et s'il avait pu vivre avec des lapins et des super héros, je savais bien qu'il aurait été l'enfant le plus heureux du monde ! Enfin…
Nous arrivions. Je garai la voiture. Mon mari nous attendait sur le pas de la porte. Louis lui sauta dans les bras et prit un grand plaisir à lui raconter qu'il allait devenir le prochain super héros, qu'il aurait un costume rouge et qu'il s'appellerait Bunny Bump. Le regard de Lance trahissait son incompréhension, mais lorsqu'il se tourna vers moi pour avoir plus de détails, je pense que ma mine le découragea d'en demander davantage. Il se contenta de féliciter son fils et le reposa par terre. Louis sautait dans tous les sens et se mit à courir autour de la maison, certain qu'il deviendrait un grand héros. Pauvre enfant.
Nous rentrâmes et je répétai à Lance toutes les paroles de la psychologue. Il soupira, passa ses bras autour de mes épaules et m'assura que tout irait bien pour notre fils. Comme j'aurais aimé qu'il ait raison.
Louis entra en école élémentaire l'année suivante. Il était très excité et nous étions anxieux. Entre temps, un petit Evan avait vu le jour et bien que fatigués, nous étions des parents comblés.
Les premiers temps se passèrent sans problème, Louis s'était fait des amis, s'amusait à faire le pitre et il était toujours le premier choisi pour jouer au ballon prisonnier. Mais très vite, les choses se dégradèrent. Ses cahiers se remplissaient de rouge, de remarques sur son comportement ou d'avertissements quant à ses difficultés. Nous finîmes par nous retrouver dans le bureau de l'institutrice qui nous expliqua très gentiment que Louis avait un gros problème. Je fondis en larmes. Je dirais pour ma défense que j'étais épuisée par les pleurs de mon cadet et l'énergie débordante de mon aîné. Je sortis et laissait Lance terminer l'entretien.
La dyslexie s'était clairement révélée avec les débuts de l'écriture et Louis avait beaucoup de mal à suivre la cadence. Tout semblait embrouillé dans sa tête et il allait avoir besoin d'une aide soutenue à la maison. Pour ne rien arranger, il était toujours très agité, ne parvenant pas à fixer son attention il se déconcentrait pour un rien ce qui n'aidait pas du tout l'enseignante et dérangeait parfois toute la classe. Lance s'en excusa, expliqua qu'il allait en parler à Louis et nous quittâmes l'école.
Nous rentrâmes à la maison en silence, réfléchissant à la manière d'aider notre fils. Une fois rentrés, nous récupérâmes les enfants chez la voisine, je couchai Evan et nous nous instalâmes dans le salon avec Louis. C'est son père qui lança la discussion et je ne l'en remercierais jamais assez.
« - Louis… Il faut qu'on te parle avec maman. On vient de voir ta maîtresse, elle nous a dit que tu n'étais pas très sage et que tu dérangeais un peu la classe.
- C'est pas v…
- Laisse moi finir. Tu sais Flash était comme toi quand il était petit. Je sais que c'est dur mon grand, que tu veux bouger, mais les autres n'ont pas ton super pouvoir et il faut les laisser travailler. Tu comprends ? » expliqua Lance avec toute la douceur d'un père exemplaire.
Louis le fixa avec de grands yeux plein d'étoiles, fier d'être l'égal d'un super héros. C'était bien joué. J'en profitai pour le prendre dans mes bras et je me lançai à mon tour.
« - Avec papa, on va t'aider pour tes devoirs et tout ça, mais à l'école il faudra être sage. Si tu veux devenir un super héros, il faudra faire des efforts. Dis toi que c'est un entraînement pour plus tard. »
Louis acquiesça, le sourire aux lèvres. Je l'embrassai sur le front et laissai son père l'emmener se coucher. Ce soir-là, Lance lui raconta une des plus formidables histoires de Flash et la vie put reprendre son court.
Il retourna à l'école, fit des efforts, mais ce n'était pas suffisant.
II. Où l'adolescence s'emmêle,
de super vilain à super hérosPar Lance Wilmer
Le super papa.
Très vite, Angy cessa d'aider Louis à faire ses devoirs. Elle n'avait jamais été très patiente, et il était difficile pour elle de s'acharner calmement sur une leçon que son fils ne parvenait pas à comprendre. Je prenais le relais. C'était un peu mieux, mais Louis grandissait à vue d'oeil et les difficultés avec lui. Il était de plus en plus agité et impulsif. Même lorsqu'il voulait aider, il ne prenait pas le temps de réfléchir et cela finissait souvent en catastrophe. Nous ne comptions plus le nombre de vaisselles cassées, de vêtements déchirés et autres incidents déplorables. On essayait de lui faire comprendre, mais c'était comme parler à un mur. C'était plus fort que lui, beaucoup plus fort. Il avait besoin de bouger et ce constamment, comme une pile chargée indéfiniment. Je ne vous cache pas que c'était épuisant. Seul Evan y trouvait son compte et prenait un grand plaisir à suivre son frère dans ses aventures.
Les années passèrent. Louis gagnait en centimètres et perdait en résultat scolaire. Il fut finalement envoyé dans un collège, malgré nos protestations et ce fut le début de la fin.
À douze ans, l'adolescence pointait son nez et cela n'annonçait rien de bon. Quelques semaines suffirent à Louis pour se faire à sa nouvelle école et à ses nouveaux amis. Et quels amis ! C'était une bande de petits caïds qui embarquèrent sans problème notre fils dans leur petit groupe. C'était un garçon influençable et quand on lui proposait de passer un après-midi en ville plutôt qu'assis sur une chaise, il ne savait pas dire non. Il commença à sécher les cours, à se battre et ses résultats, déjà catastrophiques, frôlèrent le néant. Nous en avions vite été informés, mais malgré nos remontrances et nos punitions, Louis ne changea pas. C'était même de pire en pire. Seul son professeur de mathématique semblait trouver grâce à ses yeux, les autres adultes n'étaient que des idiots et nous n'étions pas épargnés. De nous deux, Angy était celle qui avait le mieux réussi à garder une prise sur lui. Il lui obéissait toujours bien que ce soit avec une flagrante mauvaise volonté.
« Louis ! Où est-ce que tu comptes aller ? Je te rappelle que tu es privé de sortie.
- Et alors ? Tu comptes m'attacher à une chaise pour être sûr que je ne parte pas ?
- Ne me tente pas. Remonte dans ta chambre tout de suite.
- Non.
Je posai mon journal et me levai. Je lui attrapai le poignet et le tirai vers les escaliers. J'étais son père après tout, c'était mon boulot d'être ferme, même si je détestais ça.
- Y'en a marre maintenant ! Tu montes dans ta chambre tout de suite !
- Lâche moi vieux con ! J'ai pas à t'obéir, tu m'emmerde à la fin ! »
Une main s'abattit sur son visage. Ce n'était pas la mienne. C'était Angy. D'un geste glacial, elle lui indiqua les escaliers du doigt. Il la fusilla du regard et monta les marches quatre à quatre avant de claquer violemment sa porte. C'était la première fois qu'elle le giflait. Je me tournai vers elle et aussitôt que nos regards se croisèrent, le sien s'emplit de larmes et elle me tomba dans les bras. Nous étions épuisés.
Arrivé à la fin de l'année, arriva ce qui devait arriver, Louis redoubla sa sixième. C'était un coup dur pour nous, mais ce le fut bien plus pour lui. Tous ses camarades étaient passés dans la classe supérieure et il ne comprenait pas pourquoi il était le seul de sa classe à repiquer. Il se mit en tête qu'il était un idiot et les années qui suivirent ne furent qu'une horrible corvée pour lui. Il n'avait aucun goût pour les études, et même s'il se montrait bien plus sérieux que lors de sa première année, ses mauvais résultats le décourageaient. C'était pourtant un enfant épanoui. Il avait beaucoup d'amis, adorait faire le clown et se révélait très curieux lorsqu'un sujet l'intéressait. Mais il y avait toujours cette infranchissable barrière. Son hyperactivité l'empêchait de rester concentré et sa dyslexie lui rendait la lecture l'écriture insupportables.
Il cherchait sa voie, et chaque essai le menait droit dans le mur. Dessin, musique, bricolage… Tout y passa. Il ne baissait pas les bras et enfin, il trouva.
C'était au tout début de sa dernière année de collège. Leur professeur les emmena au stade pour une séance de sport, mais au lieu du traditionnel rugby, il leur fit faire de l'athlétisme et plus particulièrement, de la course.
Je suis incapable de vous dire ce que ça a déclanché chez Louis, mais dès cet instant il ne s'arrêta plus de courir. Il était doué, il était même fait pour ça. Dès les premières heures, il battait tous ses camarades au sprint, allant même jusqu'à devancer son professeur au 100 mètres. Celui-ci le prit rapidement sous son aile et Louis commença à s'entraîner. C'était son défouloir, il y mettait toute sa rage, toute son énergie et il courait toujours plus vite, toujours plus longtemps. Il vivait pour la course.
Il allait mieux et nous aussi. Tout autour de lui s'arrangeait. L'école n'était plus un calvaire, il rentrait heureux et comblé. Toute la famille respirait et nous l'encourageâmes de toutes nos forces dans cette passion naissante.
Il entra très rapidement dans la compétition et y fit ses preuves avec brio. Il ne quittait jamais les podiums et rares étaient les fois où il n'était pas à son sommet. Nous étions tous très fiers de lui. Evan voyait en son grand frère un athlète exceptionnel qu'il admirait par-dessus tout. Leur relation, auparavant tendue à cause des excellents résultats scolaires du cadet, s'était transformée en une amitié indestructible. L'école, toute aussi fière de son petit prodige, était ravie de se retrouver sous le feu des projecteurs et elle mit tout en œuvre pour offrir à Louis un emploi du temps adéquat et des cours retravaillés pour combler lacunes.
La course avait fait voler en éclats toutes les barrières et à la fin de l'année, un nombre inespéré de lycées lui ouvraient grand leur porte, nous promettant monts et merveilles. Nous laissâmes Louis décider.
« Je veux rester à Alice Springs. »
III. Apogée d'un super héros
avant sa descente aux enfers. Par Evan Wilmer
Super petit frère
Louis c'était mon héros.
Je ne savais pas comment il faisait pour courir aussi vite. Pour moi c'était presque magique. Faut dire que j'avais 11 ans et que tout ce qui sortait un peu de l'ordinaire me semblait merveilleux. Mais là, il s'agissait de mon frère et ça changeait tout. C'était la vedette de la ville, une ville bien sobre comparée aux extravagants bords de mers australiens. Eux, ils avaient des surfeurs par centaines. Et nous, on avait Louis. Ça nous suffisait.
On me reconnaissait comme son petit frère. Difficile de ne pas l'admettre tant on se ressemblait, à ceci près que je n'avais pas de taches de rousseurs. J'étais le petit génie du primaire et lui le dieu des starting-blocks. Je n'étais pas jaloux. C'était même moi qui l'aidais à préparer ses affaires de course ou qui lui donnais un coup de main quand il avait envie de répondre aux quelques courriers de ses fans. Il faut dire que les trois quarts des filles de la ville étaient amoureuses de lui. Ça m'amusait. Lui n'était pas très à l'aise pour ces choses-là. Ça ne l'intéressait pas, il préférait courir.
Son année au lycée commençait sur les chapeaux de roues. Il terminait premier à chacune de ses courses, ne cessait de progresser et il se qualifia sans aucune difficulté pour les nationales. Moi je rentrais juste en sixième, les professeurs admiraient mon travail et ne cessaient de demander des nouvelles de mon aîné. J'étais choyé et je ne remercierais jamais assez Louis pour cela.
À l'approche des nationales, toute la ville était en effervescence. Mon frère n'était pas vraiment le favori et Alice Springs comptait sur lui pour montrer ce qu’elle avait dans le ventre. Il rayonnait. Tous ces gens lui faisaient confiance et il mit tout en œuvre pour ne pas les décevoir. Il courait tout le temps. Pour aller à l'école, en allant acheter du pain, pour se rendre au stade… On ne l'arrêtait plus. Le grand jour arriva enfin. Le championnat avait lieu à Sydney et ce fut la première fois que nous primes l'avion. Je crois bien que je n'ai jamais eu aussi peur de ma vie, mais ce n'est qu'un détail.
Nous avons été accueilli et logé par l'organisme et le lendemain, Louis était dans les starting-blocks. Une bonne partie d'Alice Springs avait fait le déplacement et nous avions tous de grands draps blancs où l'on avait écrit « Bunny Bump » et tant d'autres encouragements. Même avec les années, ce surnom lui était resté et s'était finalement imposé comme son nom de coureur. Je savais qu'il en était très fier. Il me l'avait dit. Il se sentait un peu comme un super héros. Les autres spectateurs nous regardaient bizarrement. Il faut dire que c'était la première fois qu'une ville aussi perdue que la notre était représentée dans une compétition de cette envergure.
Louis était dans le couloir numéro quatre. Ce n'était pas son favori, mais il ne fit pas de manière. Il se mit en position, les genoux posés sur la terre battue. Le silence se fit dans le petit stade.
« À vos marques. »
« Prêt. »
« PAN ! »Louis se redressa et prit le départ. Il volait. Il enchaînait les enjambées à toute allure, concentré sur son point d'arrivée. Nous le vîmes remonter sur les concurrents avec la rage du lion pour les dépasser un par un. Troisième… Deuxième… Premier !! Il franchit la ligne d'arrivée. Gagné ! Et nous hurlions, nous pleurions et nous applaudissions, fiers de cette tête brûlée qui avait trouvé sa voie. Nous descendîmes tous sur le stade, sans attendre ne serait-ce qu'une approbation. Nous l'enlaçâmes, le félicitâmes et le portâmes en triomphe. Il aurait sauvé le monde que nous n'aurions pas été plus emballés.
Louis rentra en héros. Toute la ville avait suivi ses exploits, que ce soit à la télévision ou à la radio. Nous fîmes une grande fête, certains que nous avions là un futur champion olympique. Nous nous trompions.
Quelques mois plus tard, le lycée de Louis organisa un grand cross au nord de la ville. C'était un évènement classique qui se déroulait tous les ans sur les collines et les chemins escarpés de la région. Les élèves attendaient toujours cette course avec impatience car elle précédait les vacances d'été. L'occasion de se défouler et de passer un bon moment ensemble. Évidemment, mon frère était ravi d'y participer. Il espérait bien terminer premier et j'avais parié avec lui un mois de vaisselle qu'il ne battrait pas le record de l'école.
Le grand jour arriva, il partit avec toute sa classe tandis que je prenais la direction du collège. J'avais hâte que la journée se termine pour savourer ma victoire, mais alors que j'attaquais une leçon d'histoire, le sous-directeur entra dans la salle et me demanda. Curieux et un peu inquiet, j'attrapai mes affaires et lui emboîtai le pas. Nous nous rendîmes à son bureau où mon père attendait. Il était pâle comme la mort et lâcha dans un murmure :
« Ton frère a eu un accident. »
Je n'en sus pas plus. Je quittai l'école en sa compagnie, nous montâmes en voiture et prîmes la direction de l'hôpital.
« Il est tombé pendant la course… Il a glissé et il a dévalé la pente sur cinq cents mètres… »
Je jetai un coup d'oeil à mon père. Je ne l'avais jamais vu dans un tel état. Nous arrivâmes enfin à la clinique. Il gara la voiture et nous nous précipitâmes à l'accueil. Chaque seconde était un supplice de plus. On nous donna finalement le numéro de chambre et nous montâmes quatre à quatre les marches qui nous en séparaient. 204. Je poussai la porte. Ma mère était assise près du lit, les yeux rougis par les larmes. Louis dormait profondément à ses côtés. Je retins un sanglot. Il était couvert de pansement et un masque l'aidait à respirer. C'était impressionnant, mais je me disais qu'il s'en sortirait. Ce que je ne savais pas c'était que Louis était déjà mort et que la couverture cachait la blessure qui l'avait achevé. Je ne parle pas d'une mort physique, loin de là. Mais vous allez comprendre.
Ma mère embrassa la joue gonflée de son fils et se leva. Elle nous fit signe de la suivre et nous sortîmes de la chambre dans un silence terrible. Elle essuya de nouvelles larmes qui coulaient sur ses joues et après un important effort elle finit par lancer :
« Louis ne pourra plus courir. C'est fini. »
Nous restâmes interdits. Mon père, choqué, regardait tour à tour sa femme et la porte de la chambre de Louis. Je ne comprenais pas. C'était tellement injuste !
« Pourquoi ? Pourquoi il ne pourrait pas !? Louis est fort, il s'en remettra maman.
- Non Evan, pas cette fois. Les médecins sont formels. Si Louis veut pouvoir continuer de marcher sans aide, il faut qu'il oublie la course. Sa jambe gauche est bien trop abîmée pour supporter un effort aussi intense que celui du sprint ou de l'endurance. C'est terminé. »
Elle fondit en larmes, mon père la prit dans ses bras, étouffant ses sanglots. Je les rejoignis dans leur douloureuse plainte. Si Louis ne pouvait plus courir, alors il était mort. Je le savais et eux aussi.
Nous n'apprîmes la nouvelle à Louis que quelques jours plus tard, une fois sûrs qu'il s'était remis de l'opération. Ce ne fut pas l'explosion de rage à laquelle nous nous attendions. Il frappa son matelas, serra les dents et ce fut tout. Mes parents se persuadèrent que sa réaction était la preuve qu'il avait mûri. Moi je savais qu'il ne l'acceptait pas. Sa jambe avait été multifracturée. Fémur, tibia, péroné, tout y était passé. Il allait devoir faire preuve de patience et il le savait. Il eut une conduite exemplaire à la clinique, prenait tous ses médicaments et restait sagement allongé. Je le sentais bouillir, mais il prit sur lui le temps de son hospitalisation.
Six mois plus tard, il sortit. Il pouvait rentrer à la maison à condition d'être raisonnable et de se reposer. On venait de lui retirer son plâtre et il marchait en béquille. Une rééducation était nécessaire et tant qu'elle n'aurait pas fortifié ses muscles, il avait l'interdiction de poser le pied au sol. Mais il était bien décidé à n'en faire qu'à sa tête.
Plus d'une fois, je le retrouvai debout, sans ses béquilles, au milieu de sa chambre. Il me suppliait de ne rien dire. Mon regard tombait alors sur l'horrible cicatrice qui lui longeait la jambe et j'acceptai. Je savais que cela lui redonnait un peu d'espoir et qui sait, peut-être qu'un miracle allait avoir lieu ?
Les mois passèrent et Louis dépérissait. Ses efforts douloureux se soldaient par des échecs plus terribles encore. Il avait abandonné les béquilles, mais marcher sur de longues distances relevait de la torture. Il sentait qu'il n'avait aucune chance de réussir et tourner en rond entre les quatre murs de la maison le rendait fou. Il perdit toute sa volonté et toute sa ténacité. Je le voyais mourir à petit feu sans que mes parents ne le comprennent. Louis n'était plus que l'ombre de lui-même et ça me rendait malade.
« Louis ! Bouge toi bon sang ! C'est pas ton genre de te laisser abattre comme ça !
- J'ai perdu Evan. Je n'étais bon que pour la course. C'est terminé.
- Arrête. C'est n'importe quoi. Tu ne fais plus rien ! Tu t'enterres tout seul !
- Qu'est-ce que tu veux que je fasse !? Je suis foutu ! Même marcher c'est l'enfer ! Et cette maison me rend dingue !! »
La pile de ses comics vola à travers la pièce. Je me sentais mal. Pourquoi fallait-il que ça tombe sur lui… Il s'était battu, encore et encore ! Il avait cru triompher et finalement, plus rien. J'essuyai rapidement une larme. Louis se laissa retomber sur son lit, dégoûté et las. Je sortis. Je ne savais pas comment l'aider, je me sentais idiot et inutile. C'était horrible.
Une semaine s'écoula encore ainsi, et puis un matin, Louis avait disparu. Il avait emmené un sac avec du linge, un peu d'argent et de nourriture et ses béquilles. Il fuyait l'enfer de la maison, il fuyait ces murs qui ne cessaient de lui rappeler à quel point il était fini, il fuyait la ville dont il ne pouvait plus être le héros…
Sur son bureau traînait un morceau de papier. Une écriture maladroite y avait inscrit ce mot :
« Merci. »